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Publié le
Vendredi 18 Mai 2018
Le Premier ministre a demandé à Alain Quinet de réunir, avec l’appui des équipes de France Stratégie, une commission chargée de réviser la valeur tutélaire du carbone en cohérence avec les nouveaux objectifs climatiques de la France.
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Atteindre la neutralité carbone à horizon 2050, c’est l’objectif fixé par le Plan Climat, en déclinaison des engagements pris par la France dans le sillage de l’Accord de Paris. « Nous allons renforcer le prix du carbone pour donner un prix à la pollution » et donc « en creux, un avantage compétitif à l'économie verte », annonçait notamment Nicolas Hulot, ministre de la transition écologique et solidaire, lors de son discours de présentation du Plan Climat le 6 juillet 2017. Un objectif ambitieux qui appelle une révision de la valeur monétaire donnée aux émissions de gaz à effets de serre que le Premier ministre a lui-même qualifiée de « composante essentielle de la transition écologique ». De là, la mission confiée à Alain Quinet, inspecteur général des finances, de réunir, avec l’appui des équipes de France Stratégie, une nouvelle commission chargée de réviser la valeur tutélaire du carbone définie en 2008. Entretien.

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est la valeur tutélaire du carbone ? À quoi ça sert ?

Cette expression est en effet un peu mystérieuse ! Pour la comprendre, il faut rappeler que l’émission de gaz à effet de serre, du dioxyde de carbone [CO2] essentiellement, a un coût pour la collectivité qui n’est pas spontanément intégré dans le prix des produits carbonés. Pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, il faut au préalable leur donner une valeur en euros qui permette de chiffrer les dommages et/ou les efforts d’abattement. La valeur de cette externalité n’est par définition pas disponible sur un marché. On ne peut pas non plus s’en remettre à une simple enquête d’opinion s’agissant d’enjeux de long terme à multiples dimensions, environnementales économiques et sociales. D’où le recours à un travail d’expertise et de délibération spécifique pour refléter au mieux les choix collectifs de lutte contre le changement climatique. La valeur du carbone est dite « tutélaire » parce qu’elle est fixée, dans sa grande sagesse, par l’État, sur la base des recommandations d’une commission d’experts de tous horizons animée par France Stratégie, héritière du « Plan ». La valeur tutélaire du carbone c’est donc le prix de la tonne de carbone, et par suite de la tonne de CO2, permettant d’atteindre les objectifs français de lutte contre le réchauffement climatique, la référence étant désormais la neutralité carbone à horizon 2050.

Concrètement à quoi sert cette valeur ? C’est une valeur, ou plutôt une trajectoire à l’horizon 2030 puis 2050, sur laquelle l’État et les collectivités territoriales vont se fonder pour effectuer les calculs socio-économiques permettant d’évaluer l’efficacité de leurs projets d’investissements publics, notamment pour les infrastructures de transport et d’énergie. La valeur tutélaire doit plus généralement servir pour l’évaluation des politiques publiques. Supposons, par exemple, que l’État veuille prendre une mesure pour encourager les énergies renouvelables. Si le coût à la tonne de CO2 évitée de cette mesure est durablement supérieur à la valeur tutélaire, alors il y a présomption d’inefficacité. Elle servira ensuite à définir le niveau des incitations fiscales (dont le coût est explicite), des réglementations (donc le coût est implicite). Ce qui est nouveau et encourageant, c’est l’usage de la valeur tutélaire par les entreprises privées dans leurs choix de R&D ou d’investissement parce que cela signifie qu’elles tiennent compte de l’impact potentiel en termes d’émissions de CO2 de leurs investissements. La valeur carbone commence aussi à irriguer la finance climat.

Vous aviez déjà défini une valeur tutélaire en 2008. Pourquoi la réviser aujourd'hui ?

Il y a eu beaucoup de travaux sur la valeur carbone depuis le début des années 2000, notamment le rapport Stern de 2006 qui proposait une valeur relevant d’une approche coût/avantage, c'est-à-dire qui répondait à la question : « quel est le coût « social », pour l’humanité, de l’émission d’une tonne de CO2 émise ? ». Peu de temps après, la France lançait ses propres travaux, complémentaires de ceux du rapport Stern, en traitant la question sous un angle différent « quelle est la valeur du carbone cohérente avec les objectifs français de réduction de gaz à effet de serre ? ».

L’intérêt de ce calcul c’est de donner de la visibilité aux acteurs sur la valeur requise du carbone à moyen long terme. Il n’a donc pas vocation à être révisé tous les ans. En revanche il est sain de se reposer la question tous les dix ans parce que certains éléments structurants du calcul changent à cette échelle de temps. Depuis dix ans la France a relevé ses ambitions en matière de réduction de gaz à effet de serre, dans le sillage de l’Accord de Paris : on est passé, à l’horizon 2050, d’un objectif facteur 4 [diviser par 4 les émissions de gaz à effet de serre par rapport à celles de l’année 1990] à la neutralité carbone, c'est-à-dire un flux de « zéro émissions nettes » en France. Dans le même temps, les instruments d’incitation à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ont eu tendance à « courir » après les objectifs ; le « budget carbone » à notre disposition a donc diminué en conséquence. Troisième élément : le champ des innovations est plus ouvert. Il y a dix ans, les grands sujets technologiques étaient cantonnés au déploiement des énergies renouvelables et du véhicule électrique. Aujourd'hui s’y ajoutent des questions nouvelles telles que le stockage de l’électricité, la capture et la séquestration du carbone.

Aucune étude n’est venue démentir la valeur arrêtée en 2008, ce qui prouve que notre démarche était robuste. Pour autant, les trois éléments que je viens d’évoquer changent le paysage, ce qui amène légitimement à réviser la valeur.

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alain_quinet.jpg, par jmroulle

Comment la Commission travaille-t-elle ? Quels sont ses attendus et ses échéances ?

La Commission prend comme données d’entrée deux éléments de cadrage importants : un élément de cadrage climatique – le diagnostic scientifique issu des travaux du GIEC –  et un élément de cadrage politique – les objectifs français de réduction d’émissions de gaz à effet de serre. Elle mobilise pour définir la valeur carbone les études disponibles dans le champ de l’économie de l’environnement et des travaux de modélisation spécifiques. La commission a commandé à cinq laboratoires spécialisés en économie de l’environnement un jeu de simulations. C’est en combinant les résultats de ces différents modèles, en raisonnant sur ces résultats, avec leur robustesse mais aussi leurs limites, que la commission peut construire des trajectoires raisonnables.

La valeur ajoutée de la Commission, c’est en effet le travail de délibération raisonné sur les résultats des modèles. Je me souviens qu’en 2008, les différents modèles donnaient des résultats très dispersés. Tout le travail de la commission avait justement été de mobiliser l’intelligence collective de ses membres pour se mettre d’accord sur une trajectoire. C’est pour cette raison que la commission se compose d’économistes spécialistes de l’environnement mais aussi de représentants du monde économique et social, des ONG, des administrations concernées, notamment la Direction générale Energie-Climat, et des organisations internationales présentes sur Paris (OCDE, AIE [Agence internationale de l’énergie]), soit, en tout, une trentaine de personnes. Nous fonctionnons par auditions, par ateliers spécialisés, par échanges avec les organisations internationales. Nous bénéficions bien sûr de l’appui de France Stratégie et de son nouveau Commissaire Gilles de Margerie.

Nous travaillons sur deux horizons : l’été [2018] pour produire la trajectoire de valeur carbone stricto sensu qui a vocation à alimenter la stratégie nationale bas-carbone – c’est l’horizon des chiffres – et l’automne [2018] pour élaborer des recommandations sur les usages de cette valeur et pour travailler à la diffusion internationale de nos travaux auprès de nos grands partenaires européens et des organisations internationales.

Vous avez présidé la Commission de 2008. Quels enseignements en avez-vous tirés pour l’exercice actuel ?

En 2008, nous avons initié un travail original puisque très peu de pays s’étaient lancés à leur échelle dans ce type d’exercice. Ce travail mobilisait les meilleures expertises disponibles mais assumait aussi son approche « artisanale » et « partenariale ». Chacun est entré dans cette commission avec ses convictions et peut-être aussi ses présupposés ; mais on est plus intelligent à plusieurs dans un domaine marqué par de nombreuses incertitudes et des enjeux importants de transition économique et sociale. La grande force des travaux de 2008, c’est le consensus qui s’est progressivement formé dans cette commission. C’est pourquoi, même s’il y a eu après un débat nourri sur la taxe carbone, le rapport est resté une référence légitime et non partisane. Tout l’enjeu aujourd’hui est de continuer à avancer avec une commission renouvelée, d’être non seulement pertinent mais aussi utile à la conception et à la réalisation de la stratégie nationale bas carbone.

Propos recueillis par Céline Mareuge, journaliste web

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